Les chemins de la liberté, T1 L'âge de raison, Jean-Paul Sartre, 1965 -
L'âge de raison, tome 3 de : Les Chemins de la Liberté, Jean-Paul Sartre - roman - Au milieu de la rue Vercingétorix, un grand type saisit Mathieu par le bras; un agent faisait les cent pas sur l'autre trottoir. "Donne-moi quelque chose, patron; j'ai faim. " Il avait les yeux rapprochés et des lèvres épaisses, il sentait l'alcool. "Ca ne serait pas plutôt que tu aurais soif? demanda Mathieu. - Je te jure, mon pote, dit le type avec difficulté. Je te jure." Mathieu avait retrouvé une pièce de cent sous dans sa poche. "Je m'en fous, tu sais, dit-il, c'était plutôt pour dire." Il lui donna les cent sous. "Ce qui tu fais là, dit le type en s'appuyant contre la mur, c'est bien; je m'en vais te souhaiter quelque chose de formidable. Qu'est-ce je vais te souhaiter ?" Ils réfléchirent tous les deux; Mathieu dit : "Ce que tu voudras. - Et bien, je te souhaite du bonheur, dit le type. Voilà." Il rit d'un air triomphant. Mathieu vit que l'agent de police s'approchait d'eux et il eut peur pour le type: "ça va, dit-il, salut." Il voulut s'éloigner mais le type le rattrapa : "C'est pas assez, le bonheur, dit-il d'une voix mouillée, c'est pas assez. -(...) Je vais te donner un timbre de Madrid. " Il sortit de sa poche un rectangle de carton vert et le tendit à Mathieu. Mathieu lut : C.N.T. Dizaro Confederal. Ejemplares 2. France Comité anorcho-syndicaliste, 41 rue de Belleville Paris". Un timbre était collé sous l'adresse. Il était vert aussi, il portait l'estampille de Madrid. " éditions Le Livre de Poche, 1965. #roman de Sartre,
L'âge de raison, tome 3 de : Les Chemins de la Liberté, Jean-Paul Sartre - roman -
Au milieu de la rue Vercingétorix, un grand type saisit Mathieu par le bras; un agent faisait les cent pas sur l'autre trottoir.
"Donne-moi quelque chose, patron; j'ai faim. " Il avait les yeux rapprochés et des lèvres épaisses, il sentait l'alcool. "Ca ne serait pas plutôt que tu aurais soif? demanda Mathieu. - Je te jure, mon pote, dit le type avec difficulté. Je te jure." Mathieu avait retrouvé une pièce de cent sous dans sa poche. "Je m'en fous, tu sais, dit-il, c'était plutôt pour dire." Il lui donna les cent sous. "Ce qui tu fais là, dit le type en s'appuyant contre la mur, c'est bien; je m'en vais te souhaiter quelque chose de formidable. Qu'est-ce je vais te souhaiter ?" Ils réfléchirent tous les deux; Mathieu dit : "Ce que tu voudras. - Et bien, je te souhaite du bonheur, dit le type. Voilà." Il rit d'un air triomphant.
Mathieu vit que l'agent de police s'approchait d'eux et il eut peur pour le type: "ça va, dit-il, salut." Il voulut s'éloigner mais le type le rattrapa : "C'est pas assez, le bonheur, dit-il d'une voix mouillée, c'est pas assez. - Eh bien, qu'est-ce qu'il te faut - Je voudrais te donner quelque chose... - Je vais te faire coffrer pour mendicité", dit l'agent. Il était tout jeune, avec des joues rouges ; il essayait d'avoir l'air dur : "Il ne mendie pas, dit vivement Mathieu, on cause." L'agent haussa les épaules et continua son chemin.
Le type chancelait d'une manière inquiétante; il ne semblait pas même avoir vu l'agent. "J'ai trouvé ce que je vais e donner. Je vais te donner un timbre de Madrid. " Il sortit de sa poche un rectangle de carton vert et le tendit à Mathieu. Mathieu lut : C.N.T. Dizaro Confederal. Ejemplares 2. France Comité anorcho-syndicaliste, 41 rue de Belleville Paris". Un timbre était collé sous l'adresse. Il était vert aussi, il portait l'estampille de Madrid.
Mathieu avança la main : "Merci bien. - Ah mais attention! dit le type en colère, c'est... c'est Madrid." Mathieu le regarda : le type avait l'ai ému et faisait des efforts violents pour exprimer sa pensée. Il y renonça et dit seulement : "Madrid. - Oui. - Je voulais y aller, je te jure. Seulement ça ne s'est pas arrangé." Il était devenu sombre, il dit : "Attends", et passa lentement le doigt sur le timbre. "ça va. Tu peux le prendre. - Merci. "
Mathieu fit quelques pas mais le type le rappela : "eh! - Eh?" fit Mathieu. Le type lui montrait de loin la pièce de cent sous : "Il y a un mec qui vient de me filer cent sous. Je te paie un rhum. - Pas ce soir. " Mathieu s'éloigna avec un vague regret."
éditions Le Livre de Poche, 1965. #roman de Sartre,
Description : format livre de poche, 441 pages. bon état, page de garde poussiéreuse.