Le jour se lève, D.B. Drucker, 1957 - journal, société 1950
Le jour se lève, D.B. Drucker - Journal - Voici déjà quatre ans que mon père est mort, quatre ans que, seul à le savoir condamné, seul à pouvoir lui prêter un appui, je dus le préparer au sombre voyage. Je le revois, par une nuit toute pareille à celle-ci, dans cette même bibliothèque, assis dans ce lourd fauteuil Louis XIII au coins de la cheminée. Il m'attendait pour connaître le verdict du médecin. Son beau visage, éclairé brutalement par la lampe de ce guéridon, m'apparaissait au-dessus d'un journal qu'il faisait semblant de lire et je sentais son regard peser sur moi. Perdu dans la fumée de ma cigarette, je lui parlai de nos aïeux, de ces maîtres-verriers qui, au prix de tant de travail et de tant d'amour, nous avaient faits ce que nous étions. Je les évoquai à la lueur fantastique de leur premier four, broyant des mélanges secrets, excitant la flamme, cherchant à emprisonner l'insaisissable lumière dans le cristal. Puis, descendant le cours des générations, je lui montrai le lourd fardeau familial toujours transmis et toujours accepté, la joie grave de nos enfants s'initiant à nos affaires, la grandeur stoïque de cette lutte de toute une race contre la mort. L'esprit léger de ceux qui nous ont précédés ici-bas semblait flotter dans l'air du soir. Et nous, qui allions bientôt nous séparer, nous sentions le palpitement des âmes chères et sur nos fronts la douceur de la main de Dieu. "Nous avons besoin tous deux de beaucoup de courage", me dit mon père, et sa vieille main fatiguée pressa la mienne.. éditions Edouard Aubanel 1957. #journal, #société 1950, #livre rare,
Le jour se lève, D.B. Drucker - Journal - Voici déjà quatre ans que mon père est mort, quatre ans que, seul à le savoir condamné, seul à pouvoir lui prêter un appui, je dus le préparer au sombre voyage. Je le revois, par une nuit toute pareille à celle-ci, dans cette même bibliothèque, assis dans ce lourd fauteuil Louis XIII au coins de la cheminée. Il m'attendait pour connaître le verdict du médecin. Son beau visage, éclairé brutalement par la lampe de ce guéridon, m'apparaissait au-dessus d'un journal qu'il faisait semblant de lire et je sentais son regard peser sur moi.
Perdu dans la fumée de ma cigarette, je lui parlai de nos aïeux, de ces maîtres-verriers qui, au prix de tant de travail et de tant d'amour, nous avaient faits ce que nous étions. Je les évoquai à la lueur fantastique de leur premier four, broyant des mélanges secrets, excitant la flamme, cherchant à emprisonner l'insaisissable lumière dans le cristal. Puis, descendant le cours des générations, je lui montrai le lourd fardeau familial toujours transmis et toujours accepté, la joie grave de nos enfants s'initiant à nos affaires, la grandeur stoïque de cette lutte de toute une race contre la mort.
L'esprit léger de ceux qui nous ont précédés ici-bas semblait flotter dans l'air du soir. Et nous, qui allions bientôt nous séparer, nous sentions le palpitement des âmes chères et sur nos fronts la douceur de la main de Dieu.
"Nous avons besoin tous deux de beaucoup de courage", me dit mon père, et sa vieille main fatiguée pressa la mienne. (...)
Bientôt je glisserai de la vie dans la mort et les âmes viendront me demander des comptes. Serai-je reconnu coupable ou innocent ?
Je traversais, la saison dernière, la Montagne du Prince Noir. Un sentier, à peine indiqué sur la mousse, nous avait conduits au cœur de la forêt. Les sapins gonflés de sève frissonnaient au vent du matin et partout, des plus hautes branches déjà touchées par la lumière au creux encore obscur des halliers, mille bruits, mille chansons célébraient la joie de vivre. Nous longeâmes un lac immobile et glacé, puis, arrivés au bord d'un gouffre, l'ami qui m'accompagnait rompit le silence.
éditions Edouard Aubanel 1957. #journal, #société 1950, #livre rare,
Description : livre broché, couverture souple, 260 pages, format 19 cm x 12 cm. bon état.